Prix de vente imposés : une infraction aux formes multiples

Autorité de la concurrence, communiqué du 30 octobre 2024

Le 30 octobre 2024, l’Autorité de la concurrence a annoncé avoir sanctionné à hauteur de 470 millions d’euros deux ententes verticales entre fabricants et distributeurs de matériel électrique basse tension relatives à la fixation des prix de vente.

Les contrats-cadres de distribution prévoyaient un mécanisme d’ajustement des prix d’achat standard pratiqués par les fabricants à l’égard des distributeurs, permettant à ces derniers de s’aligner sur les prix plus bas sollicités par les clients finals. Le prix d’achat résultant de l’application de ce mécanisme était suffisamment bas pour permettre en théorie aux distributeurs de consentir des réductions de prix supplémentaires aux clients finals, mais les entreprises s’étaient en réalité entendues pour conférer un caractère fixe aux prix dérogés.

Cette nouvelle sanction illustre la variété de formes que peuvent revêtir les pratiques de prix de vente imposés, et l’importance de bien veiller à la préservation de la liberté tarifaire des distributeurs tant sur le plan théorique que pratique.

L’interdiction des prix de vente imposés

Les distributeurs indépendants doivent demeurer libres de déterminer les prix de vente pratiqués à l’égard de leurs clients finals.

Toute pratique consistant pour un fabricant à limiter la politique tarifaire de ses distributeurs est susceptible d’être appréhendée sous l’angle :

  • Des pratiques restrictives de concurrence au sens de l’article L. 442-6 du code de commerce, lequel punit « d’une amende de 15 000 € le fait par toute personne d’imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’un bien, au prix d’une prestation de service ou à une marge commerciale » ;

  • Des abus de position dominante au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE (cf. décision n° 17-D-02 du 10 février 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des boules de pétanque de compétition) ;

  • Des ententes anticoncurrentielles au sens des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 du TFUE. Les accords ayant pour objet de restreindre la capacité des distributeurs à déterminer librement leurs prix de vente constituent une restriction caractérisée au sens du règlement d’exemption relatif aux restrictions verticales¹. Les fournisseurs peuvent néanmoins communiquer des prix de vente conseillés ou maximum, sous réserve que ces recommandations ne s’apparentent pas, en pratique, à des prix fixes et qu’elles ne soient pas accompagnées de mesures incitant les distributeurs à appliquer un niveau de prix donné².

L’interdiction des prix de vente imposés vise à préserver non seulement la concurrence intra-marque, en permettant notamment aux consommateurs de faire jouer la concurrence entre différents revendeurs d’une même marque, mais également la concurrence inter-marques. D’après la Commission européenne, les prix de vente imposés peuvent par exemple faciliter la collusion entre fournisseurs du fait d’un accroissement de la transparence des prix sur le marché³.

Les différentes expressions de l’infraction

Toutes les pratiques aboutissant à une forme de prix de vente imposés sont susceptibles d’être sanctionnées sur le fondement du droit de la concurrence.

Ainsi, les autorités de concurrence appréhendent les procédés de fixation des prix pratiqués par les distributeurs à l’égard de leurs clients tant directs (au sein de la documentation contractuelle ou dans le cadre d’une pratique concertée) qu’indirects, sous la forme par exemple d’incitations au respect d’un certain niveau de prix ou de menaces en cas de déviation.

Exemples de procédés directs :

  • Les contrats d’une franchise d’articles de football imposaient aux franchisés de respecter la politique tarifaire du franchiseur afin de protéger l’image de marque de ce dernier (décision de l’Autorité de la concurrence n° 21-D-24 du 12 octobre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution d’équipements de loisirs footballistiques) ;

  • Les contrats conclus entre un fabricant et des grossistes imposaient à ces derniers de ne pas communiquer d’autres prix que les prix de revente au détail conseillés et leur enjoignaient de veiller à ce que les revendeurs au détail respectent les prix annoncés (décision n° 21-D-26 du 08 novembre 2021 relative à des pratiques mises en oeuvre au sein du réseau de distribution des produits de marque Mobotix) ;

  • Les contrats conclus entre un producteur de vin et ses distributeurs interdisaient à ces derniers de fixer leur prix de vente au détail en-dessous des prix conseillés communiqués. Le producteur était intervenu auprès des distributeurs qui n’appliquaient pas ses consignes tarifaires et avait sanctionné ceux qui persistaient à les ignorer en retardant les livraisons. Certains distributeurs avaient également dénoncé les pratiques commerciales de leurs concurrents (décision n° 24-D-07 du 17 juillet 2024 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins sous IGP Côtes de Gascogne) ;

  • Des contrats de distribution comportaient une « charte partenariat Internet » prévoyant expressément l’obligation pour le distributeur d’appliquer les barèmes de prix de vente public conseillés (décision n° 17-D-01 du 26 janvier 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des arts de la table et de la cuisine).

Exemples de procédés indirects :

  • Des contrats conclus entre fournisseurs et distributeurs conditionnaient le versement de remises au respect des prix de vente conseillés et soumettaient les opérations promotionnelles au contrôle préalable des fournisseurs (DGCCRF, septembre 2023) ;

  • Le référencement des revendeurs sur le site Internet était conditionné au respect de prix de revente communiqués par le biais de grilles tarifaires, de bons de commande ou d’un pré-étiquetage des produits livrés (décision n° 11-D-19 du 15 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de gadgets et articles de fantaisie) ;

  • Des contrats de distribution sélective prévoyaient une validation préalable des messages promotionnels et subordonnaient leur renouvellement au respect des prix indicatifs diffusés par le fabricant (décision n° 91-D-03 du 15 janvier 1991 relative à la situation de la concurrence sur le marché de la chaussure de ski).

Notes de bas de page

(1) Règlement (UE) 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées
(2) Des accords portant sur la fixation des prix de vente peuvent bénéficier d’une exemption individuelle s’ils génèrent des gains d’efficience. Les lignes directrices sur les restrictions verticales mentionnent notamment le lancement d’un nouveau produit, les campagnes de prix bas coordonnées de courte durée (dans le cadre d’un réseau de franchise notamment), la nécessité d’empêcher l’utilisation d’un produit comme produit d’appel et la fourniture de services de prévente additionnels dans le cas de produits complexes.
(3) Commission européenne, lignes directrices sur les restrictions verticales 2022/C 248/01, § 196.

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