Protéines végétales et dénominations animales : vers l’annulation de l’interdiction française

Selon la CJUE, les États membres ne sont pas compétents pour édicter des normes réglementant ou interdisant l’usage de dénominations issues des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, s’agissant d’une matière expressément harmonisée par le règlement n° 1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires.

CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-438/23

Le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a répondu aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État dans le cadre des recours en annulation dirigés contre les décrets d’application de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, interdisant l’emploi de termes traditionnellement associés aux produits d’origine animale pour désigner des produits végétaux.

Cette interprétation devrait marquer la fin d’une lutte menée depuis plus de deux ans par les opérateurs du secteur des protéines végétales contre cette réglementation.

La loi du 10 juin 2020 et le décret n° 2022-947

La loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires avait inséré dans le code de la consommation un article L. 412-10 interdisant l’usage de dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des produits à base de protéines végétales.

Le décret n° 2022-947 d’application de la loi a été adopté deux ans plus tard, le 29 juin 2022¹. Il interdisait notamment d’utiliser, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales, une dénomination « utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie », ou une dénomination « d’une denrée alimentaire d’origine animale représentative des usages commerciaux » (article 2, paragraphes 3° et 4° du décret). Il permettait toutefois, sous certaines conditions, l’usage de ces dénominations pour des produits d’origine animale intégrant une proportion limitée de protéines végétales (article 3).

La suspension du décret n° 2022-947

L’association Protéines France, qui rassemble des entreprises du secteur des protéines végétales, avait formé un recours en annulation du décret n° 2022-947 devant le Conseil d’État et demandé en référé la suspension de l’exécution des paragraphes 3° et 4° de son article 2².

Le Conseil d’État avait suspendu partiellement l’exécution du décret eu égard :

  • au délai insuffisant (à peine plus de trois mois) laissé aux opérateurs pour se mettre en conformité en modifiant des pratiques établies de longue date, caractérisant une atteinte grave et immédiate aux intérêts des membres de l’association ; et,

  • à l’existence de doutes sérieux quant à sa légalité du fait de son imprécision et de sa potentielle non-conformité avec le droit de l’Union européenne³.  

Le sursis à statuer et les questions préjudicielles du Conseil d’État

Estimant que l’issue du recours en annulation dépendait de l’interprétation du règlement européen n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information sur les denrées alimentaires, dit « INCO »⁴, le Conseil d’État a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice et sursis à statuer dans l’attente de sa réponse⁵.

En substance, le Conseil d’État demandait à la Cour de justice si le règlement INCO faisait obstacle à ce que les autorités françaises édictent le décret n° 2022-947 du fait que les matières qu’il couvre ont fait l’objet d’une harmonisation expresse. En fonction de la réponse à cette question, le Conseil d’État avait posé d’autres questions complémentaires afin d’être en mesure de se prononcer sur la compatibilité du décret avec le droit de l’Union européenne.

L’adoption du décret n° 2024-144

Dans l’intervalle, un second décret n° 2024-144 a été adopté par les autorités françaises le 26 février 2024, visant à pallier les lacunes du texte initial. Ce texte a abrogé le précédent et instauré une interdiction similaire, cette fois accompagnée d’une liste de termes interdits (tels que steak, jambon, grillade, escalope, etc.).

La suspension du décret n° 2024-144

Ce nouveau texte a également été dénoncé par des entreprises du secteur des protéines végétales qui en ont demandé l’annulation. Le Conseil d’État a suspendu l’exécution du texte du fait notamment de l’existence d’un doute sérieux quant à sa conformité avec le règlement INCO⁶.  

La réponse de la Cour de justice aux questions préjudicielles

Le 4 octobre 2024, la Cour de justice a livré une analyse détaillée au terme de laquelle elle considère que :

  • Le règlement INCO harmonise expressément la protection des consommateurs contre le risque d’être induits en erreur par l’utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, constituées de termes issus des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales au lieu des protéines d’origine animale, y compris dans leur totalité. Cette harmonisation empêche les États membres d’édicter des mesures nationales qui réglementent ou interdisent l’usage de telles dénominations.

  • Cette harmonisation expresse ne fait pas obstacle à ce qu’un État membre édicte des sanctions administratives applicables en cas de manquement aux prescriptions et interdictions contenues dans le règlement INCO ou à des mesures nationales conformes au règlement.

  • La fixation de taux maximaux de protéines végétales admis pour que des denrées alimentaires puissent être désignées par certains noms usuels ou descriptifs équivaut à règlementer l’utilisation de ceux-ci, sans pour autant adopter de dénomination légale. Or, étant donné que le règlement INCO harmonise expressément l’utilisation de ces noms, un État membre ne saurait adopter de mesure à cet égard, sans mettre en danger l’uniformité du droit de l’Union.

Bien que le décret de 2022 visé par le litige au principal ait été abrogé, la Cour de justice a estimé que son interprétation demeurait nécessaire pour permettre au Conseil d’État de statuer sur les recours dirigés contre le décret de 2024.

Notes de bas de page

(1) Décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales.
(2) D’autres associations et entreprises du secteur des protéines végétales ont également demandé l’annulation du décret.
(3) Conseil d’État, Juge des référés, 27juillet 2022, 465844.
(4) Règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) no 1924/2006 et (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) no 608/2004 de la Commission.
(5) Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 12 juillet 2023, 465835.
(6) Conseil d’État, Juge des référés, 10 avril 2024, 492844.

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